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Photo du rédacteurHerenui

Devenir, une partition sur la transidentité


Frontispice du chapitre "Lévitation" tiré de Devenir par Joanna Folivéli


Il y a quelques mois, alors que je scrollais paisiblement sur Instagram, je suis tombée sur la campagne de financement Ulule d’une de mes artistes favorites. Je suivais déjà le travail de Joanna Folivéli depuis un certain temps, étant absolument captivée par son approche colorée des corps, de la sensualité de la transidentité. C’est notamment par le biais de son travail entre autres artistes queer que je me suis mise à m’intéresser à la culture LGBTQIA+. J’ai alors sauté sur l’occasion de soutenir financièrement une artiste indépendante en participant à la campagne. Quelques mois plus tard, j’ai appris que l’autrice sera à Paris pour le lancement officiel de son ouvrage et j’ai sauté sur l’occasion de la rencontrer. Joanna a eu l’amabilité d’accepter de donner une interview concernant son parcours en tant qu’artiste transgenre et le contenu de son tout premier roman graphique Devenir.

Je vous propose donc une petite immersion dans l’univers mélodieux et envoûtant de Joanna Folivéli tout en vous partageant le lien permettant de commander son ouvrage s’il vous venait l’envie d’en faire l’acquisition.


Herenui (H) : Votre premier roman graphique va paraître aux éditions Deux Points. Pourriez-vous nous parler du cheminement qui vous a conduite vers ce récit ?

Joanna Folivéli (JF) : Alors pour commencer, ça a été très long, ça pris du temps à maturer étant donné que j’ai su très tôt, aux environs de quinze ans, que je souhaitais me faire publier un jour. J’ai donc écrit beaucoup de récits imprégnés de mes questionnements identitaires et je pense que la transidentité était déjà un thème sous-jacent avant même que je débute ma transition. J’ai vite pris conscience de toute la transphobie que j’avais pu subir et intérioriser, ce qui m’a menée à travailler dessus, à chercher à illustrer d’une façon ou d’une autre ce par quoi je suis passée. Tout part de ce simple questionnement : quel livre puis-je créer dans le but de changer la narration attribuée aux personnes trans.


H : Comment êtes-vous entrée en contact avec vos deux éditrices ?

JF : J’avais un projet de bande dessinée hybride entre illustration et poésie, ce qui n’intéressait guère les éditeurs puisque le format était trop spécifique et visait un public trop réduit. Je ne me suis pas découragée pour autant et j’ai lancé une bouteille à la mer sur Instagram en demandant à ma communauté si quelqu’un connaissait un éditeur susceptible d’être intéressé par mon projet. C’est comme ça que mes éditrices m’ont remarquée et contactée.


H : Pourriez-vous nous en dire plus sur l’intrigue, les thèmes centraux et votre manière de les aborder ?

JF : Tout d’abord, je pense qu’il est important de concevoir ce livre comme une partition de musique dans le sens où il se répartit en morceaux différents. Je n’ai pas voulu narrer une seule histoire et j’ai préféré au modèle classique et linéaire celui d’une lecture fragmentée en sept histoires oniriques. Les thèmes sont variés puisqu’on passe du rêve aux moments de vie inspirés de mon propre vécu. Il est donc difficile d’établir un fil conducteur entre ces micro-récits, si ce n’est justement cette recherche de “devenir” qui a donné son titre à l’ouvrage.


Illustration par Joanna Folivéli


H : Pour reprendre vos propres mots, vous concevez ce récit à la manière d’une partition de musique. Pourriez-vous préciser ce rapport à la musique dans votre procédé artistique ?

JF : Bien sûr, je pense nécessaire de préciser que je fais de la synesthésie, c’est-à-dire que mon cerveau interprète les dessins sous forme de musique. C’est pour cela que je fais de la BD, c’est ce qui motive mon travail. Lorsque je travaille sur une bande dessinée, c'est un peu comme si je tapais le rythme en même temps et parfois je me surprends à écrire plusieurs pages d’un même flux comme si je faisais des contrepoints. L’écriture et le dessin s’associent automatiquement à la musique dans ma tête. Ceci explique mon goût prononcé pour les allitérations, les effets de musicalité au sein de la narration… Pour ce qui est de l’illustration, ça s’exprime par mon envie de dessiner la fluidité de la musique, de faire couler le récit en symbiose avec elle.


H : Et comment décririez-vous cette spécificité neurologique ? Comment avez-vous découvert que vous étiez synesthète ?

JF : Je m’en suis rendue compte lors d’un concert de Gabriel Fauré organisé par mon école alors que je devais avoir quinze ans. Avant cette occasion, je n’avais jamais réellement écouté de musique classique à vrai dire. Lors de ce concert, j’ai une camarade de classe qui s’est mise à chanter le pie jesu de Gabriel Fauré et je suis tombée en larme. Ça m'a si profondément émue que j’en ai conçu l’envie de traduire la musique en dessin. C’est ce que j’ai commencé à faire. En me renseignant, j’ai découvert la Fresque Beethoven de Klimt qu’il a peinte à partir de la Neuvième Symphonie et en la regardant, je pouvais entendre la Neuvième Symphonie. J’ai donc voulu faire la même chose pour le pie jesu de Fauré et j’ai fini par illustrer tout le requiem dans la foulée.

Tout ça me hantait tellement qu’à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans j’ai cherché à concevoir des BD à l’image des opéras. Depuis, je n’ai cessé d’aborder mon travail sous cet angle et j’en suis même arrivée à faire mon tout premier concert il y a quelques semaines. J’ai appris à composer en autodidacte et je travaille seule pour le moment.


H : Quel parcours académique et professionnel vous a menée vers le milieu de l’illustration et de la bande-dessinée ?

JF : Pour commencer, j’ai toujours voulu faire de la BD, j’en ai eu très tôt la certitude. J’ai commencé dès le lycée avec une section arts plastiques et histoire de l’art avant d’entendre parler de Saint-Luc Liège qui est une école d’art belge spécialisée dans l’illustration et la bande dessinée. Je suis partie faire mes études là-bas.


H : Y aurait-il d’autres artistes queer que vous souhaiteriez mettre à l’honneur dans cette interview ?

JF : En premier.e je pense à Kelsi Phung qui est un.e artiste non-binaire qui travaille dans le milieu de l’animation et qui se bat pour essayer de réaliser des courts-métrages queer. Iel a réalisé notamment un très beau court-métrage sur une jeune femme trans “au placard” titré Les lèvres gercées.

Je pense aussi à la poétesse Luz Volckmann qui est à mon avis le pinacle de notre poésie actuelle. C’est une personne très riche dont l’écriture est assez élémentaire et inspirante.


Illustration par Joanna Folivéli


H : Auriez-vous des conseils de lecture à adresser à de jeunes gens se questionnant sur la transidentité ?

JF : Pour être honnête, ce n’est pas en littérature que j’ai trouvé mon compte à l’époque. J’ai davantage trouvé ce dont j’avais besoin et la représentation qui me correspondait sur Youtube. Je pense en particulier à un opéra qui a été réalisé sur la vie de Chelsea Manning qui est une célèbre lanceuse d’alerte. Elle était dans l’armée américaine et a fait fuiter la vérité quant aux exactions commises par les soldats américains sur les civils irakiens grâce à Wikileaks. Elle a été emprisonnée et a fait son coming out de transition lors de son procès. C’est pour moi une figure de battante que j’admire beaucoup. Elle a depuis été graciée par le président Barack Obama puis ré-emprisonnée sous Donald Trump. Ce qui m’a attirée vers elle, c’est un opéra oratorio titré The Source et qui a été composé par Ted Hearne en hommage à l’engagement de Chelsea Manning. Voilà, donc mes références sont peut-être trop peu connues, mais ce sont ces artistes qui m’ont aidée à découvrir mon identité de genre ainsi que mon identité artistique.


H : Avez-vous des projets à venir dont vous souhaiteriez nous parler ?

JF : Tout d’abord j’ai bien l’intention de continuer les concerts et je continue de travailler la musique dans ce but.

Secondement, je compte produire une autobiographie que je souhaiterais plus accessible pour un lectorat plus large et qui ne serait pas forcément très sensibilisé aux questions de genre. Je ne peux m’empêcher de vouloir conserver la dimension évasive et onirique du récit mais je veux ancrer ce dernier dans le réel pour revenir sur mon cheminement personnel. J’ai écrit une cinquantaine de pages pour un total estimé de quatre-vingt pages. C’est une expérience très intense pour moi mais je la pense nécessaire pour partager mon témoignage avec des personnes n’appartenant pas nécessairement à la communauté queer.


Illustration par Joanna Folivéli

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