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Enfants sauvages, ou l'art d'apprivoiser la différence

Jusqu'au 6 novembre au théâtre Paris-Villette

Enfants Sauvages, photo de Manuel Peskine


Afin de préparer un devoir pour mon cours de théâtre, je me suis rendue vendredi dernier au théâtre Paris-Villette ou devait se tenir la première d’Enfants Sauvages, nouvelle pièce du metteur en scène Cédric Orain. A cette occasion, j’ai eu la chance de rencontrer les trois commédien.nes qui jouaient la pièce, le metteur en scène et les directeur.ices du théâtre. J’ai alors pris l’initiative de mener un sondage sous forme de micro-trottoir afin d’interroger les spectateur.ices en présence sur leur conception du théâtre dans notre société moderne. Ce sondage mené à petite échelle s’accompagne également de deux entretiens exclusifs que m’ont accordés le metteur en scène Cédric Orain et le comédien David Migeot.

Mais avant de vous livrer leurs réflexions et expériences respectives, commençons par résumer rapidement la pièce en question. Enfants Sauvages narre le récit de vie de Victor de l’Aveyron qui fut découvert, à l’âge présumé de dix ans, vivant seul dans la nature. Il est avéré d’après des archives de rapports médicaux que l’enfant marchait à quatre pattes, ne sut jamais parler et démontra un total manque de compréhension des rapports sociaux. Le metteur en scène illustre ce parcours de vie incongru dans un spectacle sobre, aux décors minimalistes, se situant à mi-chemin entre la danse et le théâtre. La fascinante pantomime déployée par l’acrobate Petteri Savikorpi (dans le rôle de Victor) interroge sur la perception que l’on a de la différence et du handicap. Appuyée par des ambiances sonores immersives et la performance de deux acteurs endossant de multiples rôles (David Migeot et Céline Milliat-Baumgartner), cette courte pièce empreinte de poésie a su charmer les petits comme les grands.


Lien vers le teaser de la pièce :

https://youtu.be/zmrHZNqLGTg



Interview avec Cédric Orain, metteur en scène d'Enfants Sauvages


Herenui (H) : Avant de parler plus en détails de votre métier de metteur en scène, j’aimerais aborder l’actualité de votre carrière, c’est-à-dire l’adaptation en pièce de théâtre de faits historiques qui avaient défrayé la chronique à l’époque. Qu’est-ce qui a orienté ce choix ?

Cédric Orain (CO) : Il se trouve qu’il y a des années j’avais eu envie d’adapter et de mettre en scène Elephant Man mais j’avais abandonné cette idée parce que je n’arrivais pas à me défaire de la vision de Lynch. Et c’est bien plus tard qu’un ami historien et chercheur m’a parlé du livre qu’il était en train d’écrire sur Kaspar Hauser. J’ai trouvé ce récit de vie tout à fait fascinant et j’ai décidé de m’intéresser à ces enfants hors-normes qui étaient des sortes de curiosités cliniques et des remises en question de ce qu’on comprend de la condition humaine. On trouve chez ces enfants quelque chose qui nous amène à réfléchir sur ce qui nous semble naturel. L’expression nature humaine n’a pas vraiment de sens. Nos propres sens sont des perceptions et entre ce qu’on reçoit et ce qu’on comprend, il y a des filtres qui sont influencés par l’éducation, le milieu… Même ce qui nous semble inné comme la vue et le toucher, ce n’est que de l’acquis, que de l’éducation, que du social.

L’exemple le plus marquant c’est que les enfants sauvages, pour la plupart, savaient voir dans le noir, comme des animaux, ce dont nous sommes incapables. Donc les sens sont perméables au milieu dans lequel on évolue et même les caractéristiques qui nous semblent les plus instinctives ne sont formées que par notre éducation.


H : Cette pièce vise un public intergénérationnel, ce qui s’est vérifié le soir de la première lorsque la salle s’est remplie de spectateurs enfants comme adultes. Pourquoi aborder le sujet des enfants sauvages devant un tel public ?

CO : Tout simplement parce que le thème central du spectacle relève des questions “Comment fait-on pour grandir et apprendre ? Qu’est-ce que c’est que grandir ?”. Tout ce qui tourne autour de l'évolution, de l’apprentissage, de grandir s’adresse selon moi autant aux adultes qu’aux enfants. Aucun des deux n’a la même façon de regarder le spectacle mais les questions se posent à chacun. Tout le monde ne traverse pas le spectacle de la même façon. Quand je fais un spectacle, je ne pense pas à un spectateur en particulier, je ne vise pas un public précis, ni une classe sociale, ni une catégorie d’âge en particulier.


H : Quand bien même votre pièce narre uniquement le récit de vie de Victor de l’Aveyron, le titre de votre pièce est au pluriel. Pourquoi avoir fait le choix de cette pluralité ?

CO : Le film de François Truffaut, L’Enfant Sauvage est rigoureusement basé sur l’histoire de Victor de l’Aveyron raconté dans le journal du docteur Itard qui avait recueilli l’enfant et essayé de développer chez lui plein de formes d’intelligence possibles et prouver qu’il était capable de recevoir une éducation comme tous les enfants. Je me suis servi aussi de ce rapport tout en usant de certains passages de la vie de Kaspar Hauser comme l’épisode de la lettre et celui du cirque. C’est-à-dire que Kaspar n’a pas été dans un cirque mais il était exposé comme une bête de foire. Et il y a plusieurs caractéristiques de l’enfant comme la sensibilité aux ondes magnétiques qui sont un peu mélangées dans ma pièce. C’est principalement l’histoire de Victor de l’Aveyron mais aussi un peu celle de Kaspar que j’ai greffé dessus.

Ce choix du pluriel est à relier au fait qu’il y a eu plein de cas d’enfants issus de milieu que l’on dit sauvages car ils échappent à la norme civilisée. Le pluriel évite selon moi l’évocation d’un mythe erroné au sujet de l’état sauvage. Il évite une essentialisation du cas de l’enfant sauvage et rappelle que chacun de ces enfants était un individu distinct des autres.


H : Le décor de la pièce est très épuré, uniquement composé d’une structure servant de maison, de quelques meubles, de rétroprojections et d’ambiances sonores. Comment expliquez-vous ce choix de mise en scène minimaliste ?

CO : En effet, j’aime bien quand l'espace est assez aéré, lorsque les éléments forts ressortent. On peut citer notamment la structure qui évoque une maison, une grange, la forêt, une cabane et qui permet de multiples projections. Cette maison incarne la problématique de la pièce, c’est-à-dire la nécessité de trouver sa place pour l’enfant. Pourtant elle porte la trace de son passé et il y aura toujours des branches d’arbres pour y pousser quelque part. Mi-arbre mi-maison, cette structure représente avec justesse je trouve ce dilemme que traverse Victor.

Ensuite, je trouve que c’est nécessaire de laisser de l’espace et du vide pour que le spectateur puisse rêver. Si l’espace est saturé d’images, d’objets, d’accessoires, le spectateur n’a plus beaucoup de place pour imaginer, pour penser.

Pour finir, je trouve important qu’il y ait de la place pour les interprètes, pour qu’il puisse habiter cet espace scénique et qu’ils ne soient pas trop contraints par un espace surchargé. Il faut que leurs corps puissent respirer.


H : Enfants sauvages est une création originale de votre fait. Vous y représentez la vie d’un enfant non-verbal. Comment avez-vous fait pour donner une voix à cet enfant qui ne sut jamais en user ?

CO : C’est une voix qui est une voix intérieure à mon sens. A la fin du spectacle, on n’est pas sûr que l'enfant apprend à parler mais au moins il s’ouvre. Il y a enfin un rapport avec l’autre qui vient casser sa solitude. La parole c’est ça : lorsqu’on est seul, on ne parle pas. La parole existe pour être offerte à l’autre.

J’ai donc fait le choix de faire parler dans un enregistrement l’acteur de Victor, Petteri, qui est finlandais, ce qui implique un certain accent dans sa voix. Je trouvais intéressant d’exploiter cette voix intime et un peu rugueuse qu’on pouvait entendre sortir de la forêt. Et cette voix interroge justement cette énigmatique incapacité à parler. En effet, si Kaspar Hauser a finalement appris à parler, Victor de l’Aveyron n’a jamais réussi à produire le moindre mot sans que l’on sache pourquoi. On ne sait pas s’il y avait un problème de déficience mentale ou si la cicatrice située sur sa gorge près des cordes vocales l'avait rendu aphone.


H : Vous avez fait le choix de mettre en scène le moment charnière de la vie de Victor à savoir qu’il se retrouve déchiré entre son rapport à la nature et celui qu’il développe avec la société. Pourriez-vous commenter ce choix de découpage temporel ?

CO : Ce qui m’a intéressé c’était surtout de mettre en scène le cheminement d’un enfant qu’on suivrait jusqu’au moment où il parviendrait à rentrer parmi les hommes. Tout le monde dit que c’est fichu, qu’il n’est bon à rien, jusqu’à ce qu’il parvienne à s’ouvrir un peu aux hommes vers la fin de la pièce. Après être retourné dans la forêt il revient vers les hommes et pour ce qui est de la suite des évènements, je laisse libre cours à l’imagination des spectateurs. Chacun y met l’espoir ou le désespoir qu’il veut mais personnellement j’ai plutôt envie d’y croire. Je souhaite à cet enfant de trouver sa place en dépit de ce traumatisme.


H : Avez-vous de futurs projets de pièces dont vous souhaiteriez nous parler ?

CO : Oui je prépare un nouveau spectacle autour du thème du sport en m’intéressant à des sportifs et des sportives qui ont inventé des choses nouvelles dans leur domaine. Ces athlètes ont révolutionné l’histoire de leur discipline en proposant des gestes nouveaux, parfois jugés loufoques. Ce qui m’intéresse dans ces histoires c’est tout le chemin parcouru par ces individus avant de faire leur découverte. Je pense en l’occurrence au sauteur Dick Fosbury qui a inventé une nouvelle façon de sauter, à l’envers et sur le dos. Avant lui, tout le monde sautait à l’endroit sur le ventre et lui trouvait plus intuitif d’inverser sa posture ce qui lui a permis de sauter bien plus haut que les autres.

Ma démarche tourne justement autour de cette créativité, de cette intelligence du corps qui échappe à tout discours. Nous n’avons pas été capables d’énoncer par des mots ou d’anticiper par un concept ce saut avant que le corps ne le “trouve” en quelque sorte. Donc tout cela se recoupe autour de la notion d’instinct dont je me méfie un peu puisqu’on ne la comprend tout simplement pas. On a du mal à définir l’intelligence et la plasticité du corps. J’aime l’idée d'aborder cette énigme qu’est le corps et ses dynamiques internes. D’ailleurs, cet intérêt prononcé pour le corps apparaît déjà dans Enfants Sauvages puisque Petteri, qui joue Victor, est un acrobate cherche un autre usage du corps, il cherche un corps énigmatique .



Frontispice des écrits du docteur Itard représentant Victor de l'Aveyron



Interview avec David Migeot, comédien


Herenui : Pour commencer, j’aimerais que l’on s’intéresse à la pièce dans laquelle vous jouez, c’est-à-dire Enfants Sauvages de Cédric Orain. Comment s’est déroulée la mise en scène du texte de monsieur Orain ? Comment travaillez-vous le texte en groupe ?

David Migeot (DM) : Pour commencer, tout ça dépend beaucoup des metteurs en scène et en l’occurrence Cédric (Orain) écrit beaucoup en amont. Avec Cédric nous avons participé à des séances de travail pour lesquelles les scènes étaient déjà en grande partie écrites, ce qui n’est pas toujours le cas avec les metteurs en scène. Cédric avait déjà une idée assez précise de ce qu’il souhaitait raconter et comme il est à mon sens un très bon dialoguiste, il n’y a pas eu beaucoup de modifications à apporter.

En ce qui concerne le déroulement des séances, ça peut s’apparenter à un laboratoire. Avec mes collègues nous essayons diverses combinaisons, diverses interprétations et Cédric retient ce qui lui a plu. C’est lui qui oriente, qui choisit. Et en soit, on s’amuse beaucoup. Personnellement j’ai surtout eu des rôles de composition dans le cadre de cette pièce, ce qui se pratique beaucoup au conservatoire mais bien moins dans les mises en scène actuelles.


H : Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un rôle composé ?

DM : C’est se fondre dans un rôle qui est loin de soi. Par exemple, le fait d’incarner un vieux monsieur lorsque l’on n’est pas vieux, une femme lorsqu’on est un homme… La composition relève souvent d’un burlesque qui a parfois du mal à passer auprès des spectateur.ices. Dans cette pièce, ce qui permet de rendre la composition plus plausible, c’est ce côté un peu “Peter Brook” ,qui aimait abattre le quatrième mur, assumer tout à fait la distanciation avec les personnages, prendre à partie le public. Dans ce type de spectacle, on assume le dépouillement de la scène sans chercher de vraisemblance. Dans Enfants Sauvages, c’est la narratrice (Céline Milliat-Baumgartner) qui prend tout cela en charge.


H : Dans la pièce, vous êtes le caméléon qui ne cesse de changer de rôle pour faire avancer l’intrigue. Vous êtes tour-à-tour un vieil homme, un policier, ​un professeur de médecine, une aide-soignante, un prestidigitateur. Comment faites-vous pour opérer ces changements, ces modulations de voix et de posture sans vous tromper ? Avez-vous des astuces pour passer efficacement d’un rôle à un autre ?

DM : Je ne saurais pas tout à fait l’expliquer, je pense que tout relève de l’amusement. C’est comme lorsqu’on raconte une histoire drôle et qu’on se met dans la peau d’un personnage pour rendre le récit comique. On y va à gros traits et c’est justement ce qui fait rire. Et puis bien sûr, il y a des petits trucs de théâtre, à savoir que je porte déjà tous mes costumes et que je les ôte au fur et à mesure de la pièce.

Je trouve qu’il y aurait plus de défis à interpréter quatre vieux messieurs différents par exemple. Au fond, ces rôles que j’incarne se conçoivent un peu comme des exercices de théâtre. Au début, je trouvais la composition un peu trop grotesque mais Cédric m’a convaincu. Il a dû trouver nécessaire d’avoir cette respiration comique au sein d’une histoire qui n’est pas des plus réjouissantes.


H : Quel a été votre parcours en tant que comédien ? Quelles études avez-vous suivies ?

DM : J’ai eu assez tôt l’envie de faire ce métier. Je me suis toujours plu à amuser mes proches. A l’adolescence j’ai tenté de prendre des cours de théâtre mais ça m’impressionnait tellement que je suis parti en courant. Ça me semblait terrifiant de monter sur une scène devant tout le monde. Et finalement, au lycée j’ai fait partie d’un club théâtre dont l’invité était l’auteure Françoise Du Chaxel. Et pendant un an, on a tous écrit des bouts de scènes et d’histoires sur le thème de la différence qui ont ensuite été réécrits sous forme de pièce par madame Du Chaxel. On a ensuite eu la chance de pouvoir jouer cette pièce dans un beau théâtre à Suresne​s puis on a été invités au festival international de Casablanca. Alors pour des lycéens c’était énorme et ça nous a vendu du rêve. Ça m'a tellement plu que je me suis inscrit dans une école privée pour préparer les concours nationaux et finalement je suis entré au Conservatoire de Paris (CNSAD).

Au Conservatoire, ce qui a longtemps été problématique c’était son statut d’école de “maîtres”. Sur trois ans d’études on avait un professeur par année tandis que dans d’autres écoles de théâtre, il y avait des modules avec des intervenants, ce qui diversifiait énormément l’enseignement. Je trouve rétrospectivement que cet enseignement aurait été bien plus vivant et m’aurait davantage convenu. Ça aurait facilité la création d’un carnet d’adresses, de rencontrer une multitude de profils intéressants. Mais je n’ai pas à me plaindre des opportunités que m’a offert le Conservatoire. J’ai pu rencontrer beaucoup de gens du milieu, ce qui est essentiel car les théâtres fonctionnent par familles. Par exemple, j’ai passé dix ans à Angers à collaborer avec un ami devenu directeur d’un gros théâtre. On a dû faire une dizaine de pièces ensemble.


H : Souhaiteriez-vous nous parler d’un rôle en particulier qui vous aurait marqué lors de votre carrière ?

DM : Il y a deux rôles, un peu cousins, qui me viennent en tête. Le premier, je l’ai incarné au Théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie. Au cœur d’une histoire de fait divers sordide, je me retrouvais dans la peau d’un jeune homme qui était assez insaisissable, un peu dangereux et drôle à la fois. Bien des années plus tard, dans le même théâtre, j’ai joué Octave dans Les Caprices de Marianne et c’était aussi un écorché vif, plein de superbe, débordant de vie et d’esprit ce qui n’empêchait pas la présence de fêlures, de béances énormes à côté. Cette fragilité-là me plaît beaucoup, ça me fait un peu penser à un animal sauvage. Par exemple, un chat qui traverse une scène, tout le monde le regarde passer, il est imprévisible. Et c’est ce qui m’a plu dans ces deux rôles.


H : Vous jouez actuellement dans cette pièce qui est une création originale de monsieur Orain. Avez-vous une préférence pour le répertoire moderne ?

DM : Je ne pense pas avoir de préférence, tout dépend de la façon dont c’est monté. Je peux être très attiré par l’inattendu des contemporains mais les projets peuvent parfois être un peu pauvres et manquer de sens. D’un autre côté, les classiques peuvent être ampoulés, victimes de leur propre aura et de leur lyrisme, ce qui n’empêche pas de temps en temps de voir des mises en scène qui les rendent fulgurants, vifs.

Après j’ai quand même une certaine prédilection pour l’écriture de mes contemporains car j’aime aborder des sujets d’aujourd’hui. J’apprécie le théâtre engagé. Je vais prochainement jouer dans un projet à nouveau à destination des enfants et qui devrait tourner autour des problématiques d’argent.


H : Les comédien.nes jouent souvent plusieurs pièces en même temps, celà vous arrive-t-il ? Comment fait-on pour s’organiser, faire coïncider les emplois du temps etc ?

DM : Je trouve que lorsqu’une pièce est déjà en train de se jouer, ça prend moins d’espace mental qu’au niveau de son élaboration. A partir du moment où on joue une pièce, ça y est, on a de la place pour autre chose, on peut passer au projet suivant en quelque sorte. Personnellement il m’est même arrivé, et peut-être le ferai-je à nouveau à Avignon cet été, de jouer deux pièces différentes dans la même journée.


H : A ce sujet, avez-vous déjà de nouveaux projets à venir dont vous souhaiteriez nous parler ?

DM : Oui, dont l’un qui est imminent puisque je vais jouer en duo avec un ami à partir du 15 novembre au Théâtre du Rond-Point, d’après des textes de l'Oulipo. Ce sera une galerie de portraits sur des métiers. Tout part d’un texte de l’oulipien Paul Fournel, titré Les Athlètes dans leurs têtes. L’un de ces portraits que je vais jouer est celui d’un descendeur à ski par exemple. Le personnage en question est d’une arrogance et d’une suffisance qui ne rendent que plus délectable le moment où il se plante de façon magistrale. Et d’après cette inspiration, d’autres oulipiens ont rédigé des textes comiques sur divers types de métiers en gardant cette même ossature. Tout réside dans le plaisir de voir des hommes de pouvoir, ou du moins entourés d’une certaine prestance, trébucher de leur piédestal.


H : Selon vous, qu’est-ce que cela implique d’être comédien.ne à notre époque ?

DM : Je commencerais par dire que vivre à notre époque c’est déjà très compliqué en soi. J’ai l’impression que, comme dans beaucoup de domaines, tout dépend de la façon dont tu exerces ton métier. On peut être ou non citoyen et se sentir concerné dans n’importe quel métier je pense.

À titre personnel, je pense que je ne supporterais pas de ne faire que des spectacles à visée divertissante. Je ne dis pas que ça ne m’amuse pas de travailler sur ce type de projets, mais ne faire que ça, ce doit être usant. Je trouve important de faire en sorte de révéler notre époque, d’en être le miroir en portant des projets engagés. Dans ce sens, j’aime beaucoup le théâtre de l’absurde, qui a cette manière très juste d’interroger notre rapport au monde. C’est cette perdition, cette perte des repères, qui rend des Beckett et des Ionesco si intemporels voire même d’une actualité frappante.


H : Quel conseil adresseriez-vous à une personne intéressée par votre métier ?

DM : Eh bien je trouve essentiel d’essayer des choses qui nous semblent loins de nous, d’apprendre tout le temps et surtout d’aller voir ce que font les autres. Il faut s’intéresser et s’ouvrir à la diversité. Il faut aimer fouiller, fouiner, chercher. Être curieux en somme.



Sondage : Pourquoi va-t-on encore au théâtre en 2022 ?


H : Quel est l’enjeu déterminant du théâtre dans notre société selon vous ? Comment fait-on pour rendre les théâtres attractifs pour les jeunes gens qui n’ont pas nécessairement reçu d’éducation en lien avec ce domaine ?

Valérie Dassonville et Adrien De Van (directeur.ices du théâtre Paris-Villette) : C’est l’écoute. De nos jours, le théâtre est le seul endroit où l’on se rend uniquement pour écouter, pour recevoir. Se rendre au théâtre c’est rechercher une expérience à laquelle le fait d’être toustes ensemble ajoute une cohésion.

Pour ce qui est du public, ce ne sont pas tant les jeunes gens qui posent problème mais les spectateurs plus âgés. Pour les jeunes, quel que soit le contexte culturel ou familial, s’ils aiment lire, il conçoivent le théâtre comme une prolongation de cette expérience de lecture. Alors que les spectateurs plus âgés sont souvent moins dynamiques et donc plus difficile à convaincre de se déplacer. C’est pour répondre à cette problématique que le théâtre Paris-Villette s’est spécialisé depuis quelques années dans le théâtre intergénérationnel. Notre approche est justement de faire dialoguer ces deux types de spectateurs dans leur rapport au spectacle en proposant des pièces accessibles aux plus jeunes et pourtant intéressantes pour les adultes.


H : Pourquoi estimez-vous qu’il est important d’aller au théâtre ?

Julie et Cécile (enseignantes accompagnées de leurs classes de lycéen.nes) : Nous estimons important de motiver nos élèves à se rendre au théâtre. La facilité de visionnage qu’impliquent les plateformes de streaming ne peuvent et ne doivent pas se substituer au théâtre. Un spectacle de théâtre est vivant, unique, chargé d’histoire et d’émotion. Nous sommes toutes les deux amatrices de cinéma, mais l’expérience du visionnage d’un film n’a rien de comparable avec le fait d’assister à un spectacle. La notion de spectacle est indissociable de l’éphémère là où le cinéma s’inscrit dans la durée. Aller voir un spectacle c’est être dans l’instant présent, c’est être là, maintenant.


H : Fréquentez-vous régulièrement les théâtres ?

Emmanuelle (spectatrice) : Pour être honnête, moins ces dernières années car je suis trop occupée par mon métier et ma famille. Celà n’a néanmoins jamais diminué mon attrait pour ce domaine et c’est avec plaisir que je suis venue ce soir pour voir Enfants Sauvages. J’estime qu’on vit au théâtre un moment magique qui nous mets hors du temps et nous questionne pourtant sur notre société. De plus, j’adore l’aspect visuel et communicatif du spectacle.


H : Quel perception avez-vous du théâtre actuel ?

Anne (Administratrice pour La Magnanerie) : Je pense que le théâtre a toujours été et sera toujours un enjeu de société. Aller au théâtre ne tient pas uniquement à l’idée de se divertir. Le théâtre est un merveilleux outil pour questionner notre monde et il est inimitable dans sa manière de le faire dans le sens où ce qui se joue au théâtre est tout à fait unique. Le spectacle et l’émotion qu’il suscite se déroulent en direct. C’est un art profondément vivant, et donc profondément actuel. Et je trouve qu’on ne peut pas rêver mieux pour éduquer les enfants. C’est un enjeu que le Théâtre Paris-Villette a bien compris et qui ne cesse de se développer depuis des années au profit d’un spectacle total.




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2 comentarios


Isabelle Tracqui
Isabelle Tracqui
26 oct 2022

Herenui nous donne une interview très complète sur le théâtre actuel .Merci

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Herenui
Herenui
26 oct 2022
Contestando a

Merci !

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