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Murs et mirages : TEGMO l'artisan des vitraux

Dernière mise à jour : 12 déc. 2022

À force de me balader dans le quartier de la Butte-aux-cailles, l’idée de réaliser une interview avec des street artists s’est imposée d’elle-même. En effet, ce quartier resté hors du temps en plein treizième arrondissement est également le lieu d’une émulation artistique croissante. Petit musée à ciel ouvert, la Butte abrite de petits joyaux à chaque coin de rue, entre deux gouttières, sur le sol ou même ses lampadaires. Aussi, lorsque vous vous y baladez, soyez bien attentif.ve.s, ouvrez bien l'œil pour ne pas manquer les créations diverses et variées disséminées dans les environs. Un des incontournables de la Butte ne manque jamais de capter judicieusement l’attention grâce aux chatoiements de ses installations. Je parle de ©TEGMO qui se plaît à réaliser des sculptures murales abstraites à l’aide de miroirs. Ce dernier a eu la gentillesse de nous accorder l’interview qui suit :


Herenui (H) : Vous travaillez avec des éclats de miroir et des plantes. D'où vous est venue l'idée de ce mélange ? Y a-t-il une symbolique ou un engagement à y percevoir ?

TEGMO : A l’origine je suis fleuriste de métier et je me suis mis en tête de créer des vitraux il y a huit ou neuf ans. J’ai tout de suite commencé par réaliser des structures en trois dimensions qui prenaient à l’origine l’aspect de terrariums en verre. Un beau jour j’ai eu l’idée de coller une de mes créations dans la rue et le principe m’a énormément plu. C’est comme ça que je me suis lancé petit à petit, en finissant par opter pour des miroirs à la place du verre pour jouer avec la réverbération de la lumière, les reflets du ciel, des arbres. Je voulais créer un petit mirage sur les murs gris de Paris pour égayer le quotidien des passants.

H : Votre approche n'est pas sans rappeler celle de ©Maisouituesbelle, mais vous faites le choix de fragmenter les miroirs là où ce collectif installe des miroirs entiers pour permettre aux passants de se regarder. Qu'est-ce qui diffère dans votre approche ?

TEGMO : ©Maisouituesbelle (pour protéger l’identité de l’artiste, iel sera genré.e au neutre dans l’article) c’est l’un.e des premi(è)r.es artistes de la Butte qui est venu me voir pour me dire qu’iel appréciait mon travail. C’est un.e amoureux.se des miroirs aussi et en se rencontrant, l’idée d’une collab’ s’est imposée tout naturellement. C’est comme ça qu’est né l’ourlet, le cadre fragmenté, dont j’ai entouré son installation rue Jonas. C’était ma toute première collab’ il me semble. Et sur ce mur, il y avait aussi ©Exposito qui colle des visages monochromes, sauf que le médium du collage tient moins longtemps et il a disparu avec le temps.

Pour ce qui est de la différence entre nos deux approches, ©Maisouituesbelle cherche à offrir un miroir afin que les passants puissent se voir et lire un mot doux. Iel souhaite faire sourire les gens. Après, son approche avait donné lieu à certains débats avec le milieu féministe à cause de la dimension validiste qu’on peut percevoir dans son message. Je trouve ça dommage, parce que cela partait vraiment d’une bonne intention. Personnellement, je ne cherche pas à utiliser les miroirs pour permettre aux gens de se regarder dedans. Je veux qu’on puisse voir les choses invisibles grâce à la fragmentation de mon travail. Ce qui m’intéresse, c’est justement de capter l’attention de l'œil pour lui donner à voir des détails qui lui échappent habituellement. Chaque facette est une ouverture pour un autre regard, une autre façon d’observer le monde.


H : Vous avez placé de nombreuses œuvres dans le quartier de la Butte-aux-cailles, voudriez-vous commenter ce choix ?

TEGMO : Il fut un temps, j’habitais le quartier et en regardant ce que les autres faisaient en terme de street art, je me suis décidé à me lancer. J’en ai profité pour faire de premières expériences pour déterminer les lieux idéaux pour mes installations. Au fur et à mesure, j’ai réalisé que l’idéal c’était les angles de bâtiments puisqu’ils prennent plus la pluie et son bien exposés au soleil, ce qui favorise le développement des plantes. En parlant de plantes, j’avais commencé avec du lierre, ce qui n’était pas la meilleure des options puisqu’un trop grand ensoleillement a tôt fait de les faire mourir. C’est une plante qui ne survit pas au manque d’eau ou aux variations de températures trop importantes. C’est pourquoi je suis resté sur la plante grasse qui résiste à tout. D’autant plus que j’ai la chance d’avoir accès à un stock assez considérable si besoin est.

H : Quels sont vos liens avec les autres street artists ? Avez-vous déjà fait des collab' ou bien comptez-vous en faire ?

TEGMO : Sur le long terme, j’ai prévu de continuer à créer des vitraux pour les lampadaires de la Butte. Après, c’est toujours compliqué pour moi d’envisager des collab’ étant donné que mon médium est assez spécifique. Je suis très ouvert pour des collab' mais ça me prend un temps fou à envisager d’un point de vue artistique et logistique. Par exemple, les lampadaires sont des collab’ avec un pochoiriste, un artiste qui se sert de marqueurs, un peintre et ©Marquise qui avait joué avec la texture du collage.

H : Comment préparez-vous une installation ?

TEGMO : Ça représente un énorme travail d’atelier mais à coller c’est très rapide et efficace. Ça implique aussi un repérage préalable, notamment dans le cas de figure du lampadaire. J’avais dû monter sur les lampadaires pour prendre des mesures et visualiser le travail à produire. Après, je ne fais que rarement des croquis, j’aime bien laisser une part de hasard en fonction du lieu que je visualise. Mon travail est très abstrait, donc il ne nécessite pas beaucoup de croquis.

H : Quels matériaux utilisez-vous dans vos créations ?

TEGMO : La base du vitrail c’est le verre, le cuivre, le plomb ou l’étain et la patine. Je pars donc d’une structure en cuivre, une soudure à l’étain et une patine par-dessus. Tout est parti d’un livre que j’avais acheté il y a quelques années alors que je ressentais le besoin de faire quelque chose avec mes mains. J’ai consulté quelques pages, dressé la liste du matériel et je n’ai pas poussé plus loin. Je voulais faire les choses à ma façon. Bien entendu, mes premiers projets étaient moches, la coupe du verre était mal faite, les soudures trop brouillon… Je pense que c’est comme ça qu’on commence tous ! On apprend par la pratique.


H : Combien de temps passez-vous sur vos créations ?

TEGMO : Comme vous devez vous en douter, c’est un travail de longue haleine. Le travail d’une facette peut me prendre une vingtaine de minutes, donc tout dépend du nombre de facettes que je choisis d’articuler. Ceci étant dit, je passe beaucoup moins de temps sur les pièces de rues puisqu’elles sont forcément vouées à être dégradées par le temps, les intempéries et les passants. Donc je passe plutôt cinq minutes sur ces facettes là. Les pièces d’atelier quant à elles exigent d’être plus travaillées puisqu’elles doivent venir orner l’intérieur de ceux qui les achètent.

Il faut savoir d’ailleurs que la vente de mes créations ne faisait pas partie de mon projet à l'origine. Je souhaitais surtout laisser une trace de mon passage dans cette immense ville-fourmillière où règne l’anonymat. La première fois que j’ai été exposé, c’était dans à Montmartre. Depuis, j’ai été exposé aux Centcinquante du côté de Pigalle dans le théâtre des Trois Baudets et mon travail se trouve également au LavOmatik. Avec cette activité de galeriste en parallèle, je me suis mis à confectionner des pièces disponibles à l’achat. C’est un travail que je considère bien plus exigeant, que je qualifierais même de millimétré puisque je me refuse à laisser la moindre rayure sur un objet d’art. J’achète par conséquent tous les miroirs pour ce type de travaux alors que mes pièces de rue sont davantage composées de matériaux de récup provenant des encombrants laissés sur un coin de trottoir.

A ce stade, j’ai décidé de tenter l’aventure en plaquant mon boulot de fleuriste dont les amplitudes horaires étaient trop contraignantes pour pouvoir me dédier entièrement à mon travail de street artist.


H : Quels artistes t'ont inspiré ? Quels sont tes street artists préférés ?

TEGMO : A l’origine, je ne connaissais absolument rien du street art et lorsque j’ai commencé on m’a beaucoup comparé au ©Diamantaire. Par conséquent, j’ai tout fait pour éviter de m’inspirer de son travail étant donné que nous travaillons tous deux avec le même médium. J’ai horreur des copieurs dans le milieu de l’art…

En ce qui concerne les street artists dont j’aime le travail, je pense à ©PARVATI qui se plaît à créer des oiseaux anthropomorphes. Je trouve ses créations très délicates et oniriques. J’aime beaucoup aussi les créations de ©Heart Craft qui joue beaucoup avec les stickers et les aplats de couleurs. Naturellement, j’ai un attrait particulier pour ceux qui jouent avec les volumes et le relief, parce que ça me parle énormément. Ce qui me plaît tant dans ce milieu, c’est justement la multitude d’approches et de médiums qui permettent à chacun d’apporter sa petite patte.


Toutes les photographies, sauf mention contraire, sont la propriété de ©TEGMO

1 Comment


cecile_mariani
cecile_mariani
Feb 05, 2023

Il serait peut-être judicieux d‘organiser une visite guidée en relation avec ton article passionnant.

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